Voilà qu'il recommençait à digresser éternellement sur un point qui n'avait rien à voir avec le cours. Toma laissa échapper un long soupir : ce prof était réellement une pure catastrophe. Seul à sa table, au fond du petit amphithéâtre, il était avachi sur ses feuilles de classeur et observait l'homme d'un œil sombre que ternissait la lassitude. Pourquoi avait-il dû tomber sur le seul professeur incompétent qui enseignait cette discipline…? C'était tout de même incroyable d'avoir aussi peu de chance.
Pourtant, il adorait l'Histoire des Forces du Mal. C'était même sa matière favorite. Tant de choses à apprendre, et surtout de leçons à en tirer. C'était véritablement passionnant, et sa déception en était d'autant plus grande. Il savait déjà qu'il devrait travailler tout seul de côté pour avoir le niveau à la fin de l'année. Heureusement, il avait déjà lu des dizaines d'ouvrages sur le sujet, même si la période XVIIIe demeurait relativement flou. Il lui faudrait sans doute passer quelques heures à la bibliothèque pour repérer des livres potentiellement intéressants… Peut-être qu'en demandant un coup de main à un étudiant de L3 il parviendrait à mettre la main sur des références utiles…? Il doutait que le bibliothécaire ait la gentillesse de l'aider dans sa recherche.
Dans le pire des cas, il se rendrait à Paris et poserait directement ses questions à un libraire compétent. C'était d'ailleurs ce qu'il avait de mieux à faire.

▬ Oh ! Par pitié…! grinça-t-il lorsque le professeur, non content d'avoir passé dix minutes à discuter l'intérêt de la technologie contemporaine, se mit à parler de ses dernières vacances en Ardèche.

Quelques élèves lui jetèrent un regard compatissant, les visages éclairés de sourires amusés.
Non, décidément, ce n'était pas avec cet enseignant qu'il validerait ses examens. Il allait devoir se débrouiller tout seul.
Toma s'efforça tout de même de garder une oreille attentive sur la fin du cours – sans grand intérêt, malheureusement – et à peine la cloche eut-elle sonnée qu'il rangea avec empressement ses affaires pour quitter sa chaise et dévaler les escaliers de l'amphithéâtre à toute vitesse. Il passa devant l'estrade du professeur sans lui accorder un regard, et sortit de la salle le visage mâché par l'ennui et la fatigue. Entre ce cours soporifique et sa quasi-nuit blanche, il en avait pour son compte.
Le jeune homme décida tout de même de ne pas se laisser abattre, et slaloma entre les élèves qui sortaient de cours pour quitter le petit couloir où tout le monde commençait à s'amasser. C'était la pause : la plupart des étudiants s'arrêtaient en plein milieu du passage pour discuter. Et lui, qui faisait ce cursus en solitaire, sans sa bande de potes habituelle, quittait toujours les salles de classe avec la ferme intention de fuir cette ambiance qui le mettait mal à l'aise. Il allait alors rejoindre Adrian ou se trouver un endroit calme pour se reposer, compléter ses nuits mouvementées.

Il quitta le bâtiment universitaire et déboucha dans la basse-cour après avoir bu une tasse d'arabica à la cafétéria. Pas de connaissance à l'horizon : tant pis. Pour ses vingt minutes de pause, il monterait au troisième étage du bâtiment principal pour retrouver l'aimable petit Salon Vert où il s'assoupissait souvent entre deux cours.
Gravir les escaliers bondés ne fut pas de tout repos, mais il arriva à destination après avoir joué des coudes.
Le salon était encore relativement vide ; seuls quelques camarades occupaient un îlot de fauteuils rembourrés à sa droite. Toma jeta un regard circulaire sur la pièce et apprécia pour la énième fois son décor chaleureux : c'était une sorte de cabinet de repos, où sofas et causeuses s'accumulaient sur un sol carrelé de crème, aux motifs vert sapin. Les tapisseries, étonnamment douce au regard mais rêches au toucher, arboraient une teinte viride particulièrement entêtante, mais très agréable ; l'ensemble était contrebalancé par la présence de grandes bibliothèques pleines à craquer d'ouvrages divers et variés. On y trouvait parfois des pépites.

Il faisait bon se reposer au Salon Vert ; un sort l'isolait du brouhaha extérieur, et il y régnait toujours une température agréable, ni trop chaude ni trop froide. Tout juste ce qu'il fallait pour s'y sentir bien.

Toma s'avança à pas feutrés, et s'apprêta à se laisser tomber sur un divan lorsqu'une chevelure bleu électrique attira son attention. Oh… mais ne serait-ce pas…? Elle était là, en train de farfouiller dans les rayons de livre… Il ne la connaissait pas – ou du moins, il ne lui avait jamais parlé en face à face – mais sa silhouette très singulière ne passait pas inaperçue. Au premier coup d'œil, on savait que cette jeune femme était une métamorphomage : ses mèches changeaient sensiblement de couleur, de seconde en seconde, sans qu'elle ne s'en rende compte… C'était tout à fait fascinant.
Le jeune homme hésita à lui adresser la parole : après tout, ils avaient seulement échangé quelques messages sur Amstramgram… Et sans doute ne devait-elle pas se souvenir de lui. Était-ce suffisant pour l'importuner ? L'idée de faire connaissance avec une étudiante du département Ministère était néanmoins tout à fait alléchante pour quelqu'un comme lui, dont la majorité des amis faisaient Sport Étude. Il n'y avait qu'avec Louis, aussi en département Ministère, qu'il entretenait une relation amicale digne de ce nom. Les autres – et surtout ceux de sa promotion – ne lui inspiraient pas une grande sympathie. Il ne parlaient avec eux que dans le cadre de ses cours et de potentiels travaux de groupe.

Sa curiosité victorieuse, Toma s'approcha doucement de la demoiselle, et jeta un léger coup d'œil par-dessus son épaule pour lire le titre du livre qu'elle examinait avec attention. Puis, il afficha un sourire sympathique et l'aborda simplement, sans forcer le naturel :

▬ Salut ! Excuse-moi… Je sais que c'est un peu cavalier, mais il me semble te reconnaître. C'est pas toi Bluestar, sur Amstramgram ? L'étudiante en L1 Auror ? Il s'excusait presque de la troubler ainsi, mais à peine eut-il accroché son regard que sa voix se dénoua pour se faire plus détendue. Je suis Toma ; Ironbelly, sur les réseaux. En deuxième année de licence Théorie des Forces du Mal. Quand je t'ai vue, je me suis dit qu'on pourrait peut-être faire connaissance, vu que l'on est du même département ! Enfin, si ça te dit, bien sûr.